Depuis le début de la crise sanitaire, les salles de cinéma ont été fermées 264 jours. 264 jours sans évasion, 264 jours sans avant-premières, 264 jours sans apprentissage, 264 jours sans émotions, 264 jours sans salles obscures et sans découverte. Mais au-delà de ça, 264 jours qui changeront probablement le cinéma à jamais et la manière dont nous consommons le 7ème art.
En mars 2020, à l’aube du confinement n°1, les premiers reports et annulations tombent : d’abord les blockbusters à fort enjeu comme le dernier volet de James Bond avec Daniel Craig puis Mulan dont la diffusion se fera sur Disney+. Certaines productions françaises font le choix de vendre leurs films à des plateformes afin de garantir une remontée d’argent qui n’est pas assurée par le contexte : c’est le cas de Forte, acquis par Amazon Prime Video et diffusé en avril 2020 – deux mois après sa date initiale de sortie et une campagne marketing couteuse.
Début du premier confinement, les cinéphiles habitués aux salles obscures s’acclimatent progressivement au confort de leur canapé et regardent des films chez eux : vidéoprojecteurs, home cinémas, téléphones portables… certains sont mieux équipés que d’autres mais peu importe ; le plaisir du cinéma est toujours là.
Au fil des mois, tandis que les films s’entassent sur la pile des sorties à venir, nous commençons à prendre goût à ce nouveau moyen de consommation : adieu les petits désagréments de la salle, le bruit de mastication du popcorn, la personne trop grande devant nous, le couple qui discute ou celui qui arrive après les bandes-annonces.
Alors que les cinémas rouvrent, l’été 2020 offre un peu de répit et une lueur d’espoir. Quelques courageux distributeurs et exploitants décident de projeter des films – qui resteront en grande majorité français – malgré la réticence de la population à s’enfermer dans des lieux clos. Rapidement, on se rappelle que le cinéma est avant tout une expérience collective, on découvre de nouvelles pépites étrangères et françaises, on s’assoit à coté de ce groupe d’amis trop bruyant mais ça ne nous dérange pas, on boit un verre en sortant de la salle pour discuter de ce qui nous a fait vibrer. La majorité des films nommés aux César 2021 sortent, ainsi que Tenet de Christopher Nolan.
Fin octobre, les cinémas ferment de nouveau et n’ouvriront toujours pas leurs portes au premier trimestre de 2021 malgré la mise en place d’un protocole strict et l’ouverture des centres commerciaux. Chaque mois, on assiste à des reports de films internationaux, de blockbusters et de films à moins gros budget. On assiste également à une offre impressionnante de long métrages en streaming, à l’achat de franchises cinématographiques comme Knives Out par Netflix, à la création de l’Hotel Paradiso par mk2, à la diffusion en simultané sur HBO Max et dans les cinémas aux États-Unis pour Wonder Woman 1984 et à la straight-to-DVD en France. Du jamais vu !
Aujourd’hui (et depuis de nombreux mois), les productions ne sont pas à l’arrêt et aidés d’experts ainsi que d’un plus gros budget, les tournages peuvent reprendre dans le respect des mesures sanitaires. Les films sont montés, mixés, prêts à être projetés mais les salles sont fermées. Les futures sorties sont de plus en plus nombreuses et les producteurs/distributeurs ont peur de la réouverture et du grand embouteillage au cinéma. Pour assurer le succès de leur projet (ou au moins rentrer dans les frais), le CNC leur propose de vendre leur film aux plateformes de SVOD comme Netflix ou Amazon Prime Video sans avoir à rembourser les aides fournies par le CNC ou leur crédit d’impôt. Cela rassure et aide la profession, mais le cinéma change à jamais.
En l’espace de 264 jours, le modèle économique du streaming s’est prouvé rentable : communication assurée par des pros du marketing, des coûts de création de DCP réduits, une clientèle plus accessible avec des offres à moins de 10€ par mois et une possibilité de programmer sa séance à domicile… Chaque jour supplémentaire, ce sont des films qui s’accumulent, des films qui seront éclipsés par une trop grande offre en salles, des petits exploitants qui luttent pour ne pas faire faillite et des cinémas qui disparaissent, des géants du streaming qui s’imposent de plus en plus et instaurent de nouvelles pratiques. La population change son rapport au cinéma et à la façon dont elle le consomme, en s’habituant peu à peu à une alternative qui n’inclue plus la salle.
Tout laisse présager que le futur du cinéma sera à la maison, avec moins de films en salles et une offre plus importante en streaming. Et pourtant, comme le dit UGC, le cinéma c’est mieux au cinéma.